Dans le grand appartement où Corentin alias Coco nous héberge à Quito, c’est un peu l’auberge espagnole des voyageurs. Ils défilent chaque semaine, venant de tous horizons. En un peu plus de 3 semaines là-bas, j’ai rencontré pas mal de monde, cyclovoyageurs, backpackers (voyageurs en sac à dos) … Cet appartement, c’est un refuge où l’on se sent bien, et qui permet de reprendre des forces avant de reprendre la route.  

J’avais déjà croisé Jeovana et Adrián en Colombie, mais après avoir passé un peu plus de temps avec eux, après avoir appris à les connaître, j’ai eu envie de vous raconter leur histoire.

 

Adrián voyage depuis 3 ans à vélo. En partant de sa maison en Argentine près de Santa Fé, il pensait aller jusqu’en Alaska. Mais arrivé à Rio de Janeiro, la perspective du froid face aux températures bien plus douces de l’Amazonie a modifié son parcours. « L’énergie là-bas t’empêche de partir, les gens sont sympas, c’est la fête tout le temps, un peu comme un grand Carnaval ! » se justifie-t-il pour être resté 6 mois sur une plage des rives de l’Amazone. C’est près de Manaus, la grande ville d’Amazonie brésilienne où « les voyageurs se font happer après avoir traversé le pays », qu’il a rencontré Jeovana.

Elle, est native de là-bas. Lors d’une « fiesta de la calle » (fête de rue), elle dansait avec sa sœur et lui, vendait de la gélatine de Cachaça (alcool local). La magie et le charme des rencontres ont fait le reste. C’était il y a un an et demi.

Quand Jeovana me parle de Manaus, de l’Amazonie, de ses villages isolés seulement accessibles en barque, et où la jungle est magnifique, je sens de l’émotion dans sa voix. Elle y est très attachée. Ayant toujours voulu voyager sans jamais oser partir de là-bas, ne sachant pas vraiment comment s’y prendre, elle se sent stimulée par sa rencontre avec Adrián. Son rêve de voyage sur du long terme se concrétise alors à vélo, pour voyager plus lentement. Elle serait devenue folle si elle avait du rester enfermée dans un bureau pour travailler, me dit-elle.

Adrián lui aussi, a toujours voulu voyager pour apprendre, connaître d’autres cultures, casser les préjugés, se connaître mieux… « C’est une chose de vivre dans une maison, mais en voyage, tu apprends tellement plus. Tu crois aimer ceci ou cela et tu te rends finalement compte que non. Tout ce que tu crois savoir devient incertain, remis en question par ce que tu découvres jour après jour. »

Sa maison, inspirée d’un projet d’eco construction sur la Lune, il l’a d’ailleurs laissée en cours d’édification. Parce que s’il l’avait finie, il ne serait pas parti ! m’affirme-t-il. Quand un européen aurait tout fait pour la terminer, la mettre en location et en obtenir un revenu régulier, Adrian lui, voit les choses différemment.

« On a pas beaucoup d’argent mais on profite de la vie, un peu comme au Brésil où les gens n’ont pas la culture de l’économie. Ici (en Équateur), c’est différent. » Les gens croisés dans la rue n’envisagent pas la possibilité d’un voyage au long court par peur du manque d’argent, comme très souvent en Europe, me dis-je intérieurement.

Mais Jeovana et Adrián ont besoin de peu. D’ailleurs, « au Brésil et dans le sud de la Colombie, les gens nous offraient plein de choses sur la route, de la nourriture, de l’eau, des fruits… C’est beau, toutes ces personnes qui ne nous connaissent pas et nous donnent tant, ça redonne de l’espoir. »

Pour eux, ce qui compte, c’est la simplicité dans toute chose : « vivir con poco te hace feliz » (vivre avec peu te rend heureux). De leurs observations en voyageant à vélo, il leur semble que ceux qui vivent avec moins sont plus heureux et joyeux que ceux qui vivent dans l’opulence. Je fais alors intérieurement un parallèle avec la Sobriété Heureuse de Pierre Rabhi et l’hérésie de la société de consommation dans laquelle nous vivons actuellement. Et Adrián de rajouter en rigolant « Aqui me encanta de dormir hasta tarde en un buen cama » (Ici, je me réjouis de dormir dans un bon lit jusque tard le matin). Effectivement, le bonheur peut parfois se résumer à peu de choses !

 

Ce qu’aime Jeovana, entre autres en Amazonie et dans le sud de la Colombie, ce sont les gens qui sortent devant leur maison pour parler avec leurs voisins dans la rue le soir. C’est vivant et plein de joie.

Et contre toute attente, au Venezuela aussi alors que la situation politique et économique y est compliquée. Les Vénézuéliens sont très généreux, partagent beaucoup alors qu’ils ont peu. Quand je leur demande comment c’était là-bas, ils me répondent : magnifique et dramatique à la fois. A cause du manque de nourriture et du chaos qui règne parfois dans certains endroits. Mais ce qui est montré à la télé est très exagéré. C’est d’ailleurs pour aller voir la réalité par eux-mêmes qu’ils s’y sont rendus. Et ils ne l’ont pas regretté, projetant même d’y retourner parce que la nature est magnifique et magique, notamment dans la Gran Savana et sur la côte Caraïbe, mais pas tout de suite.

Le vélo, pour Adrián, c’est synonyme de liberté, de contact avec la nature et les gens, mais aussi de voyage plus économique. La vitesse est parfaite, ni trop rapide, ni trop lente. Alors, après avoir pas mal baroudé en sac à dos à travers l’Amérique latine, il se lance à vélo. Étant très manuel, il fabrique lui-même ses propres sacoches de vélo à base de bâches de camion et bidons, après avoir passé 2 années à préparer son voyage, pour mettre de l’argent de côté et vendre ses biens. Jeovana elle, profitant de l’expérience d’Adrian, n’aura eu besoin que de 3 mois de préparation.

 

Pour se financer sur la route et respecter leur budget de 7$/jour à deux, ils créent et vendent leur artisanat. Adrian fait des bijoux en macramé et Jeovana des marques-pages qu’elle dessine ainsi que des tatouages. Tout ce que crée Adrian, il l’a appris sur la route au fil du voyage. Mais la concurrence est rude avec tous les autres baroudeurs-créateurs sur la route…

Et tout le matériel nécessaire pèse. Adrian porte dans les 6kg de pierres, fils, plumes, pinces diverses et variées…et même un marteau ! Leurs vélos sont en effet lourdement chargés et me paraissent encore plus massifs que le mien déjà bien costaud. Ayant pris trop de choses inutiles au départ, ils se délestent au fur et à mesure. A chacun sa guerre contre le poids !

 

Jeovana avoue qu’elle n’aime pas les côtes, c’est trop dur. Ils en ont eu déjà tellement à monter en Colombie… « Si ça monte, on prend le bus. Hein Adri ? ».

Du haut de ses 23 ans, elle a déjà un sacré caractère, mélange attendrissant d’assurance, de douceur et d’innocence pétillante. Son bagage de vie conséquent avec une enfance difficile auprès d’un père aimant mais débordé, une mère réapparaissant après 12 ans sans donner de nouvelles et des hommes scabreux auxquels tenir tête dans son entourage de jeune fille, l’ont rendue forte prématurément. Au Brésil, et particulièrement près de Manaus, les hommes sont lourds et insistants, « ils te disent tout le temps que tu es magnifique, peu importe le moment dans la journée. Il y a des femmes qui aiment bien, elles prennent cela pour de la flatterie, mais pas moi. C’est du harcèlement. Là-bas c’est tellement courant que ça en devient normal ».

 

Malheureusement, ce n’est pas qu’en Amazonie. Et nous sommes bien placées pour le savoir toutes les deux, même en voyageant accompagnées.

À l’évocation de sa découverte de la mer pour la première fois, Jeovana a des étoiles plein les yeux. Adrian raconte qu’une fois, il a dû la porter sur son dos pour aller nager dans des eaux plus profondes et voir des poissons, parce qu’elle avait peur de marcher sur la barrière de corail et les rochers, que c’était nouveau pour elle. Après quelques pas, il marche sur un oursin et s’enfonce une épine dans le pied. Jeovana avait eu le nez creux ! Et elle éclate d’un rire cristallin communicatif. Lorsqu’elle rit, des fossettes apparaissent au coin de ses joues et laissent transparaitre cette douceur attendrissante qui la caractérise. Elle a de quoi en faire fondre plus d’un…

Ces étoiles dans les yeux de Jeovana, je les retrouve aussi quand elle me parle des plus beaux moments de son voyage ; de la mer, de la première montagne au Venezuela où ils ont vécu 15 jours avec Adrián dans une communauté indigène, ou encore quand elle a fait connaissance avec les lamas. Pour Adrian, ses moments les plus tranquilles, sont souvent ceux à vélo, car lorsqu’ils s’arrêtent il faut s’organiser pour trouver un endroit où dormir, préparer les repas au réchaud etc. « C’est là qu’arrivent les problèmes. » Néanmoins, nager dans la mer des Caraïbes au Venezuela reste gravé dans sa mémoire. « il n’y avait pas de touristes, on avait une île rien que pour nous, le rêve ! »

Des rêves, ils en ont. Comme par exemple de voyager à vélo sur tous les continents et notamment en Afrique et en Europe, de naviguer en voilier ou de trouver un bel endroit dans la nature où vivre en autonomie avec plein d’animaux, « una forma más tranquile para vivir bien » (une forme plus tranquille pour vivre bien) Ce serait sûrement en Amazonie, car là-bas ils seraient loin de tous les problèmes économiques, politiques et financiers du système actuel. Là-bas, les tourments du monde ne les atteindraient pas, et « s’il y avait la guerre, il y aurait la jungle pour s’échapper ! »

Dans 10 ans, ils espèrent avoir trouvé un équilibre entre voyage et stabilité. L’idéal serait de voyager régulièrement tout en ayant un projet stable en parallèle. C’est que Jeovana tient à sa ferme avec des animaux !

 

Mais pour le moment, ils voyagent à vélo sans itinéraire précis puisqu’il change souvent. Ils préfèrent demander aux gens croisés sur la route de leur indiquer les endroits qu’ils ont aimé et s’y rendre, plutôt que de prévoir à l’avance.

Et ils avancent, malgré les difficultés sur la route. Le pire, c’est quand à vélo, les choses ne vont pas comme ils le voudraient. Quand il fait nuit, qu’il fait froid et qu’il n’y a aucun endroit pour mettre la tente par exemple. Adrian se souvient d’une crevaison au Venezuela sans rien pour réparer, où ils avaient du échanger un paquet de riz contre du matériel pour être en mesure d’avancer de nouveau… et prier Dieu pour ne plus crever ! Plusieurs fois là-bas, ils ont eu faim aussi. Jusqu’à être obnubilé par la bouffe, tout le temps. C’était dur et triste, malgré la beauté des lieux parcourus.

Ils aimeraient rentrer en Argentine dans un an parce que leurs familles et leurs amis leur manquent, parfois beaucoup. La nourriture de chez eux aussi. Trois ans loin de ses proches pour Adrian, ça fait long. Mais ils risquent d’avoir besoin de plus de temps pour atteindre l’Argentine. Le voyage à vélo en est gourmand…

Alors en attendant, ils profitent de ce pour quoi ils sont partis. Apprendre des choses et rencontrer des gens différents, découvrir de beaux endroits, maintenir cette énergie qui les a poussés sur la route, et aller voir la réalité de terrain de leurs propres yeux. Pour raconter à ceux restés au pays, comment c’est ailleurs, et à quel point le monde qui nous entoure est riche de diversité humaine et de paysages magnifiques.

Si vous voulez suivre leurs aventures, c’est sur Instagram : artesania_en_movimiento

Catégories : Portaits

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