A l’occasion de la journée internationale de défense des droits des femmes, je publie ce texte rédigé il y a une dizaine de jours en mer, à la demande d’une amie.

Parce que je ne serais pas là où j’en suis à ce jour, si j’étais née 50 ans plus tôt ou même aujourd’hui dans un pays ne reconnaissant pas les femmes comme ayant une âme.

Parce qu’à travers ce choix de vie j’essaye, entre autres, de démontrer que naître femme aujourd’hui ne doit pas empêcher de disposer librement de son corps et de sa vie.

 

Voyager seul, c’est une chose. Voyager seule en est une autre.

Mon entêtement, en regard de l’inquiétude parfois obtuse des personnes à mon sujet, n’est pas toujours compris. Peu importe.  Les projections des peurs de mon entourage sur ma vie ne m’empêcheront pas d’arpenter le monde. A une condition cependant, celle de rester entièrement à l’écoute de mon intuition. Les faux conseils du style “ne pars pas seule, c’est trop dangereux !” peuvent aller attendre sagement au placard. “Tu n’as pas peur ?” me demande-t-on souvent, ce à quoi je réponds par la négative. Peur de quoi ?

Contre toute attente, être une femme en voyage apporte souvent beaucoup de facilités, comme si la terre entière et ses occupants, connaissant le danger potentiellement accru que je cours face à la menace humaine, s’étaient mis en tête de m’aider. Car c’est bien de cela dont il est question. Le risque majeur est humain. Certes, la nature peut elle aussi être dangereuse mais je garde en tête de me méfier des Hommes plus que de notre planète.  Jusqu’à présent, le seul contre-temps que j’ai eu lors de mon voyage a été le vol de mon téléphone dans une voiture. Que faisais-je dans une voiture me direz-vous ? La question est pertinente.

C’est dans la nature que je me sens le mieux, mes sens en parfaite harmonie. J’ai beau être sociable, je peux aussi être sauvage. La société et ceux qui veulent me faire rentrer dans un moule que je rejette n’ont qu’à bien se tenir.

Paradoxalement c’est aussi l’humain qui, plein de bienveillance, m’apporte les plus grandes joies. Les rencontres s’enchaînent et je me nourris, de découvertes culturelles en personnalités si singulières, de rires et de joies, d’amour aussi, et de la générosité offerte humblement au voyageur quel que soit son sexe. Alors mon intériorité s’enrichit, au plus profond de mon être.

Ainsi, c’est mon ressenti qui me fait avancer dans telle ou telle direction, à l’écoute de ce que me dit mon for intérieur face aux personnes croisées sur ma route.

Certaines rencontres durent, comme celle avec ce voyageur dont la route a croisée la mienne et avec qui je voyage depuis maintenant un mois. Jusqu’à quand ? On verra bien. Mais je ne suis finalement que rarement solitaire en voyage, mon quotidien souvent peuplé de présence humaine.

D’autres sont source d’inspiration, comme par exemple cette femme qui navigue seule sur son bateau depuis toujours, loin des carcans de la société. J’apprends beaucoup à ses côtés, tant au niveau de la navigation que de la vie en général.

A l’heure où j’écris ces mots, je suis équipière sur son bateau, en pleine mer des Caraïbes entre Grenade et Curaçao. Je suis face à l’immensité de l’océan, jouissant du spectacle des éléments. Le vent coiffe les vagues de crêtes d’écume blanches et les gonfle d’un bruissement subtil. La lueur du lever de lune transperce les nuages d’un halo argenté et le plancton phosphorescent scintille de milliers de perles lumineuses dans le sillage. Tout là-haut dans le ciel, les étoiles, suspendues dans l’infinité de l’univers. Le voyage, c’est aussi ces moments de félicité et de gratitude infinie envers la nature qui se présente avec toute la force et la beauté dont elle est capable, pour le plus grand plaisir de mes sens émerveillés.

Je suis partie à vélo, faire le tour de la terre aussi écologiquement que possible, et me voilà depuis plusieurs mois à faire de la voile, mon compagnon de route en fond de cale, pour traverser mers et océans.

Je suis montée sur plusieurs bateaux mais c’est la première fois que le capitaine est une femme. C’est assez rare dans le monde de la voile, milieu principalement masculin, voire carrément macho. Je ne compte plus le nombre de fois où je ne me suis pas sentie à ma place, et pas seulement à cause du mal de mer récalcitrant pendant la transatlantique.  Lors des manœuvres, il faut être rapide, précis et avoir de la force, avoir l’expérience ou tout à la fois !

Est-ce par excès de protection envers les femmes (peut-être justifié) que l’accès au pont m’est souvent refusé, particulièrement de nuit ? Est-ce parce que je suis une femme que je reçois énormément d’aide et de soutien quand je suis à vélo ? Est-ce que si j’étais un homme, je trouverais aussi facilement des transports en stop, que ce soit automobiles ou voiliers ?

Je ne suis pas en vacances, ni en année sabatique ou voyage d’études. Je vis ma vie de voyages, au gré des saisons, au fil des rencontres, parce que c’est comme ça un point c’est tout.

Être une femme ne change rien à la force intérieure qui me fait avancer. Une fois qu’on a goûté à la liberté, il est difficile de s’en passer.

Bien sûr, c’est parfois dur. Quand il faut par exemple, pédaler en ayant les règles avec tous les désagréments qui suivent, du mal de ventre à la grosse fatigue, en passant par l’hygiène pas toujours optimale faute d’accès à l’eau. Quand je dois trainer ces quelques 30kg de bagages sur mon vélo surtout dans les côtes alors que mes jambes me supplient d’abandonner, ou que je me force à faire fi des sifflements et commentaires/harcèlements de rue de la gent masculine à mon égard, parce que voyager seule signifie pour eux que je suis non mariée donc disponible… Et j’en passe.

Mais je garde mon cap.

Car toutes ces personnes bienveillantes croisées sur mon chemin, particulièrement ces femmes qui m’inspirent, m’ont permis de trouver en moi la force pour avancer. Je voyage seule. Je suis peut-être inconsciente, folle ou courageuse, mais je suis avant tout femme.

Libre et sauvage.


13 commentaires

Ameline · 8 mars 2019 à 15 h 17 min

Merci pour ce beau texte Agnès. Je me retrouve pas mal dedans. La liberté n’a pas de prix et même si ces moments de félicité, comme tu les appelles, sont bons quelque soit notre genre, en tant que femme le fait de pouvoir les savourer librement les rend peut-être encore plus précieux… Hâte de repartir en vadrouille, le sac sur le dos, le sourire aux lèvres et à la découverte du monde et de ses humains !

    Agnesninie · 30 avril 2019 à 5 h 24 min

    Merci Ameline ! Je ne peux que t’encourager à repartir en vadrouille le sourire aux lèvre 😉

Jean Michel Grignard · 8 mars 2019 à 21 h 01 min

Salut, très beau texte. Une expérience humaine même si effectivement il vaut mieux se méfier des Hommes que de dame nature.

    Agnesninie · 30 avril 2019 à 5 h 22 min

    Merci Jean-Michel!

Michel Cuxac · 8 mars 2019 à 22 h 03 min

Félicitations pour ton magnifique texte. Certes je me suis reconnu dans ces conseilleurs inquiets d’un départ solitaire…mais ta force intérieure est telle que ta décision est forcément la meilleure. Bravo, continue. Tu écris vraiment très bien. Un régal. Tu as un gros bisou de ma sauvage à moi qui voyage dans ses dessins et forêts. Va sur son site: http://www.sylvianebardou.com Bisous. Michel

Cazelles francois et gisele · 9 mars 2019 à 9 h 12 min

Libre ,sauvage et poétique. Cela est vrai que nous tremplins un peu pour toi, ce n’est
Pas une question d’empêcher quoique ce soit, mais parce qu’on t’aime bien et que
L’on ne voudrait pas te perdre. Mais quand une personne a un rêve, c,est bien de pouvoir le réaliser et au fond a deux tant que cela dure c’est bien aussi. F et moi
Apprécions énormément ton blog. De gros bisous

    Agnesninie · 30 avril 2019 à 5 h 20 min

    Merci Giselle! Je sais bien qu’il n’est pas question d’empêcher quoi que ce soit et j’entends bien l’inquiétude de mes proches. Mais tout va bien, pourvu que ça dure 🙂
    Gros bisous à vous deux

Véronique Luflade 9 mars · 9 mars 2019 à 16 h 26 min

Bonjour Agnès libre et sauvage ! heureuse de te retrouver: je me suis réveillée en pensant à toi ce matin.Je suis toujours scotchée en te lisant tu as de véritables qualités littéraires. quel beau texte. Tu as gagné en confiance et te voilà déterminée. Bravo et merci de nous envoyer de ta force .
Véronique qui t’embrasse et pédale avec toi dans les côtes …. par la pensée.

    Agnesninie · 30 avril 2019 à 5 h 18 min

    Merci Véronique ! Je pense aussi souvent à vous et j’espère que tout va bien là-haut dans le Nord. Tu peux pédaler par la pensée dans les montées avec moi, ici en Colombie j’ai besoin d’aide, ça monte raide ! ^^
    Bisous

Holmiere yvette · 9 mars 2019 à 18 h 42 min

Je fais partie de la génération des femmes née en 1951. Je suis sensible à tout ce que tu écris et décrits. Etant sans doute rebelle moi-même, j’ai traversé une bonne partie de l’existence avec ton état d’esprit, en m’ancrant dans la réalité et faisant confiance aussi à mon intuition. Je comprends ce que tu vis et je suis heureuse pour toi. Tu as une écriture très fluide, expressive et agréable. Je vibre à te lire. Ton violon doit s’en donner à cœur joie quand tu réussis à le saisir. Un bon modèle pour toutes les femmes. Je t’envoies pleins d’ondes positives pour t’accompagner pour ce périple à vélo autour du monde. De tout cœur avec toi. Affectueusement. Yvette

    Agnesninie · 30 avril 2019 à 5 h 16 min

    Merci Yvette, ton message me touche. J’espère que vous allez bien de votre côté, pour moi tout roule ! 🙂

Bordenave Marie Joe · 19 mars 2019 à 13 h 02 min

Ben Tant pis pour mes 30 ans de plus!! Je voyage quand même avec tes récits. Le danger est partout alors femme ou homme je ne pense pas que cela soit un frein pour réaliser ses rêves Bonne route (à vélo) et bon vent (pour la voile)
Marie Joe

    Agnesninie · 30 avril 2019 à 5 h 15 min

    Merci beaucoup ! Je suis ravie que mes récits te fassent voyager 🙂

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