10 Février 2019, Saint Georges, Grenade

La Marina de St Georges est assez petite mais luxueuse avec une piscine et des énormes yachts monstrueux. Nous partons en faire le tour avec Alex, à la recherche d’un bateau qui partirait vers la Colombie. Le Venezuela, bien que renommé pour ses paysages magnifiques, ne nous attire pas au vu de l’instabilité politique et économique actuelle.

Pas de chance, aucun bateau ne part vers le sud ! Les seuls départs sont des convoyages de catamarans de location (charters) vers la Martinique, au nord. Désappointés, nous faisons tout de même la connaissance d’un groupe d’allemands qui arrivent de Martinique en charter. Leurs vacances sont finies, et ils prennent l’avion le jour-même, laissant un bateau plein de vivres qu’ils nous invitent à emporter : “Prenez tout ce que vous voulez !” Nous ne nous faisons pas prier, et les bras remplis de sacs de nourriture nous retournons déposer notre pactole sur le bateau de Thom sous ses yeux ébahis : “On a de quoi manger pour quelques jours !” claironnons-nous. 

Après avoir fait notre clairance d’entrée avec lui, il nous propose finalement de nous amener en voilier dans la baie voisine, à Prickly Bay. Il compte mouiller là-bas quelques jours. Ça tombe bien, c’est là où nous voulions aller ! Ce mouillage est l’endroit idéal pour nos recherches, les plaisanciers en route pour le continent ou le canal de Panamá y font souvent escale. 

Nous arrivons dans cette baie qui va devenir notre “chez nous” pour quelques jours et faisons la connaissance d’autres bateaux-stoppeurs au bar de la Marina. Ce bar, nous y passerons de longues heures à squatter le WiFi et l’eau potable, lassés par la chaleur écrasante et l’absence de bateaux partant vers l’ouest.

La concurrence est rude, nous sommes au moins 7 à vouloir rejoindre la Colombie ! Édouard et Marine, deux français partis voyager en Amérique du Sud sans échanges monétaires, pour montrer que c’est possible et aller à la rencontre de la diversité humaine, Judith et Albert, deux jeunes catalans à l’aventure, Ana, une ukrainienne à qui il est arrivé toute sortes d’histoires depuis qu’elle est partie, et nous. Je fais aussi la connaissance de Lucrezia avec qui mes amis mallouins Ludo et Marine m’avaient mise en contact. Mais elle, remonte au nord vers la Martinique. 

La recherche se poursuit sans grand résultat, à mon grand désarroi, moi qui ai toujours trouvé un embarquement en moins de 24h… Je réalise alors la chance que j’ai eue jusqu’à présent. 

Le temps qu’il reste au mouillage, Thom nous a invités à rester dormir sur son bateau. Cet américain sexagénaire est devenu au fil des jours, un nouveau papa d’adoption avec qui l’on s’entend vraiment bien. Son humour et sa personnalité chaleureuse sont attachants. Pour le remercier, on cuisine…des crêpes ! C’est LE plat par excellence que l’on cuisine à nos hôtes qui généralement, apprécient beaucoup. En deuxième place, vient la ratatouille et quand on a un four, des gâteaux. 

Quand Thom s’en va avec son meilleur ami de fac en direction des Grenadines, nous n’avons toujours pas trouvé de bateau. Alex s’impatiente et commence à regarder les avions… Je m’insurge alors : “Alex, ça fait même pas une semaine qu’on est là !” On installe la tente sur la plage “comme à la maison”, sur les conseils de Lucrezia qui a déjà baroudé ici depuis quelques semaines avec son copain, Sidney. Cette italienne dynamique au caractère joyeux et enthousiaste, me refile tous les bons tuyaux de l’île. Elle voyage sans argent depuis 6 mois et, à elle aussi, il est arrivé toute sorte d’aventures bonnes et moins bonnes. Mais elle garde le sourire et la bonne humeur ! Une amitié forte se crée instantanément, et qui va perdurer bien après que nos chemins se soient séparés, grâce entre autres à nos tribulations sentimentales avec la gent masculine renforçant nos liens par la suite.

Lors de notre premier réveil “chez nous”, (entendez par là, ma tente plantée sur la plage avec vue sur la baie – le luxe !-), nous faisons la rencontre de notre voisin québécois, Bill, dont la maison face à la plage est en construction. Il nous apporte des noix de coco cueillies par ses soins et ouvertes à la tronçonneuse “J’ai beaucoup voyagé quand j’étais jeune, ai reçu beaucoup d’aide, j’ai été hébergé, nourri…maintenant c’est à mon tour de donner.” Notre bienfaiteur, en plus d’être généreux, est discret bien que très sympathique. Nous cherchions un lieu où stocker nos vélos et nos affaires le temps de chercher un bateau, il nous propose son container avec le double des clefs et sa machine à laver le linge (Graal de tout voyageur au long cours) ainsi que des noix de coco ouvertes tous les matins où nous dormons en face de chez lui ! Le détail a son importance, parce que sans machette et surtout sans la technique, les noix de coco sont assez longues et pénibles à ouvrir…

Avec Alex, nous partons investiguer dans les baies et marinas voisines, désespérément en quête d’un bateau qui nous ferait sortir de cette île que nous n’avons même pas encore pris le temps d’explorer. 

Aucun bateau ne part, la plupart des plaisanciers étant des retraités installés ici et y coulant des jours heureux. Sur les conseils d’un irlandais retraité, je vais jouer du violon à la Jam session (regroupement de musiciens qui font souvent de l’improvisation) des plaisanciers au bar minuscule du coin, dans l’espoir d’attirer l’attention sur les vaines annonces que nous avons déposées un peu partout dans les alentours “Looking for a boat going to Colombia”  (Recherche un bateau pour la Colombie).

Dans une marina tenue par des québécois un peu radins mais fins gourmets, nous faisons la connaissance d’une française, Mina, qui navigue seule depuis des années. A l’âge de 23 ans, après avoir construit elle-même son propre bateau, elle est partie arpenter les océans en solitaire, devenant une véritable exploratrice. Aujourd’hui écrivain de renommée, elle a la soixantaine et va partir à Curaçao mais n’a besoin de personne. L’idée de charger des vélos sur son bateau ne l’emballe pas vraiment. “Je vais réfléchir, revenez dimanche”. On a une piste, extrêmement hypothétique certes, mais c’est déjà ça. Après avoir fait le tour de toutes les marinas aux alentours, nous décidons qu’il est temps de partir découvrir l’île. 

Après une soirée autour d’un feu de bois avec nos instruments de musique sur la plage en compagnie des autres bateau-stoppeurs, nous partons donc en exploration. Contrairement à la côte sud extrêmement sèche, le centre de l’île est verdoyant et recèle de cascades. La végétation y est tropicale et humide. Nous nous déplaçons principalement en stop et ça marche plutôt bien. Nous allons voir les Seven Sisters Waterfalls où il est bien agréable de se baigner. 

Mes amis Ludo et Marine, rejoints par Alex (encore un !) que j’avais aussi rencontré au Cap Vert puisqu’il faisait partie de l’équipage d’Ora (voir mes articles sur la Transatlantique), sont à Grenade pour quelques jours. On les rejoint à Hog Island (petite île au sud-est rattachée à Grenade par un pont décrépi) où se tient ce soir-là une autre Jam session de plaisanciers à laquelle je participe. Quand chacun repart sur son bateau, nous avons l’île (presque) pour nous avec Alex (le cycliste) et plantons la tente sous un ciel étoilé magnifique. Le lendemain matin, on se fait réveiller aux aurores par Mike, rasta et unique habitant de l’île, qui se demande qui a bien pu planter une tente sur son territoire avec un matos de camping aussi élaboré. Finalement on sympathise et il nous invite à une soirée du genre Highlights Tribe (musique tribale électronique) le soir-même. Les grenadiens sont très accueillants et une des choses que je retiendrai de cette île, est la générosité et la gentillesse de ses habitants, en toute simplicité. 

Après avoir passé un peu de temps avec mes amis mallouins sur leur bateau Calou et leur avoir fait mes adieux, nous retournons à Prickly Bay avec Alex. Demain dimanche, nous devons retourner voir Mina pour savoir si elle accepte de nous avoir comme équipiers sur son bateau jusqu’à Curaçao.

Quand elle nous a aperçus sur le ponton, Mina a eu l’air surprise : “Je ne m’attendais pas à vous voir, je pensais que vos copains Édouard et Marine que j’ai rencontrés cette semaine se manifesteraient. Mais vous êtes là en premier donc c’est vous que j’embarque, tant pis pour eux !” On discute un peu en prenant un thé dans le cockpit (nous partons dans 6 jours. On pourrait mettre les vélos démontés dans ce coffre, les roues dans celui-ci. Il va falloir faire des courses pour 4 jours de navigation en tenant compte qu’il n’y a pas de frigo dans le bateau…). Ô joie, ô bonheur nous avons trouvé un embarquement !

Nous apprenons dans la foulée que Marine et Édouard partent quelques jours après nous pour Curaçao sur le bateau de Marco, un italien avec qui ils ont sympathisé. Ouf, nous pouvons avoir la conscience tranquille ! 

Nous avons donc 4 jours pour visiter l’île avant de commencer les préparatifs pour la traversée et nous installer à bord du bateau de Mina, Bato. 

Nous partons sur la côte ouest voir les Fontainebleau et Concord Falls ainsi que le Grand Étang lake (Grenade, avant d’être rattachée à la couronne anglaise, a d’abord été une colonie française. De nombreux lieux dans l’île possèdent ainsi un nom français prononcé à l’anglaise). Après les traditionnelles nouilles au bouillon cube en Martinique avec Élise (voir l’article “À la découverte de la Martinique”) , nous instaurons comme nouveau menu quotidien avec Alex, le sandwich au beurre de cacahuete. Il faut bien manger l’énorme pot que l’on a récupéré sur le charter des allemands ! 

Lucrezia m’a aussi parlé d’une plage déserte et paradisiaque dans le nord, au pied d’une falaise. Nous y filons en stop.

L’endroit n’est pas facilement accessible mais il vaut franchement le détour. Par manque d’eau douce, nous n’y passons qu’une nuit, mais quel endroit ! Une plage isolée de rêve…avec en prime une pleine lune d’une clarté éblouissante et du Debussy dans les oreilles, sur fond du murmure des vagues. Quoi de plus paisible ?

Juste à côté, la ville du Sauteurs (prononcez “Sawters”. Il nous a fallu plusieurs fois faire répéter nos interlocuteurs pour comprendre qu’il s’agissait de là où l’on voulait aller ! ). Lorsque les français ont colonisé (envahis) cette île au 18ème siècle, les derniers indigènes ont résisté jusqu’au bout. Et plutôt que de se rendre et se convertir au christianisme, ils se sont jetés de la falaise qui surplombe la ville. Aujourd’hui, la population de Grenade n’est composée que des descendants métissés des anciens esclaves et des colons. 

Quand j’ai lu l’inscription sur le monument commémoratif là où certains ont un jour sauté pour mourir libres plutôt que vivre asservis, j’ai eu honte d’être française. J’ai eu honte de ce que le colonialisme européen a engendré de génocides, de pillages et de désastres humains, geo-politiques, économiques et écologiques partout dans le monde, sous couvert de la religion et du développement, purs mensonges. J’ai eu honte d’être née “du bon côté” avec “le bon passeport” qui m’ouvre toutes les frontières. Honte que la société dans laquelle j’ai grandi et dans laquelle j’ai évolué pendant tant d’années, se soit construite avec le sang et les richesses de tant de peuples opprimés voire assassinés, laissant souvent dans son sillage une fois retirée, la misère et le chaos, la corruption et la tyrannie.

Ni corruption, ni tyrannie, ni chaos aujourd’hui à Grenade. Mais malgré une population souriante et sympathique, en dehors des beaux murs de l’université très réputée de St Georges et des yachts de luxe de la Marina de Port Louis, on peut apercevoir la misère sous forme de cases en tôle à l’aspect tellement vétuste qu’on se demande comment elles tiennent debout. Le soleil et la chaleur réchauffent les cœurs paraît-il. Les gens des îles semblent moins sensibles à cette pauvreté et plus joyeux. Qu’en est-il dans les pays de l’Afrique Noire, anciennes colonies françaises, ou en Australie avec les indigènes parqués dans des ghettos de misère ? Que dire de toutes ces grandes civilisations éteintes aux Amériques à cause des conquistadors ?

Grenade a autrefois été très prisée pour les épices qu’elle recèle. Aujourd’hui encore, les essences de chocolat, café, muscade, canelle…poussent un peu partout. Une des spécialités, en dehors du très bon chocolat, est le sirop de muscade à partir duquel se dérivent toutes sortes de produits. En se promenant dans les hauteurs de l’île, on peut apercevoir étendus devant les maisons, de grands draps où sèchent noix de muscade et grains de chocolat…

En plus des nombreuses cascades dans le centre de l’île, on trouve aussi des sources d’eau chaude naturelles. Bien évidemment, quand on a appris leur existence avec Alex, on est allés y faire un tour !

Et puis il a été temps de redescendre dans le sud pour préparer le départ avec Mina. Après une dernière soirée et un petit-déjeuner sur la plage de Grande Anse avec nos amis Marine et Édouard, après avoir dit au revoir à notre bienfaiteur Bill et récupéré nos affaires dans son container, nous rejoignons Bato.

Mais les nouvelles du Venezuela ne sont pas bonnes. Maduro, l’actuel président officiel refuse l’aide humanitaire et menace de tirer sur les convois de soutien internationaux venant de Colombie, du Brésil et…de Curaçao. Ce n’est franchement pas la meilleure des idées que de traîner dans le coin à ce moment-là. Sans parler de la piraterie assez fréquente dans la région… Nous décidons donc de mettre cap sur Bequia aux Grenadines, puisque nous avons déjà fait la clairance de sortie. En attendant que la situation se calme, on va aller plonger et se dorer la pilule au soleil. Mais le vent n’est pas avec nous et Bato n’aime pas remonter au près serré (allure marine où le batteau a le vent à 30°). Il lutte et tape violemment face au vent si bien que nous revenons au plan A et mettons le cap sur Curaçao en prenant bien soin de contourner suffisamment au nord les eaux venezueliennes.

Au large, nous sommes injoignables et ne pouvons pas non plus nous tenir au courant de la situation géopolitique environnante. Nous, petite coquille de noix dans le grand échiquier que sont les eaux venezueliennes actuellement, arriverons-nous sans encombre à Curaçao ? 


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