La Rochelle à La Palma des Canaries (24 octobre – 4 novembre 2018)

Jour 5 : lundi 29 octobre 2018
Je commence seulement aujourd’hui ce carnet de bord, la houle et le mal de mer des jours précédents ne m’ayant pas permis d’envisager d’écrire ou fixer un écran plus de quelques secondes d’affilée. Ça allait mieux ce matin et puis le vent remonte et fait des siennes. A l’abri dans les entrailles de Bielle, je n’ai rien d’autre à faire qu’attendre que ça se calme, et espérer que la pluie et les embruns ne trouvent pas d’autres voies d’accès que les quelques infiltrations déjà présentes au-dessus de ma tête dans l’étanchéité douteuse du hublot de ma cabine.
A 30 noeuds de vent réel ça bastonne, de nouveau. Je croyais que la tempête essuyée dans la nuit de samedi à dimanche serait la seule et l’épreuve ultime de cette traversée jusqu’aux Canaries mais c’était sans compter les caprices de la météo marine.
Lorsque nous avons quitté le port de la Rochelle, nous savions à l’avance que les vents pourraient atteindre jusqu’à 40 noeuds dans le golfe de Gascogne le week-end suivant. Nous sommes néanmoins partis par des conditions “parfaites” avec une mer calme, vitesse moyenne à 7 noeuds et un soleil radieux en cette fin d’après-midi du mercredi 24 octobre 2018. Toute l’équipe Bielle à la Rochelle dont Jean-Luc, William et Nathalie, Dominique et les membres de l’équipage ont contribué à ce que nous partions dans de bonnes conditions et “à l’heure” avec seulement 9 jours de retard sur le planning initial. Merci, merci…
Les amis nous adressant de grands signes d’au revoir ponctués de corne de brume depuis le bout de la jetée alors que Bielle s’élance vers le grand large suffisent à faire monter une forte émotion en moi. Malgré le sourire radieux que j’affiche, les larmes coulent derrière mes lunettes de soleil. Ce moment tant attendu est enfin arrivé, celui de prendre la mer, les cheveux au vent et le goût du sel et de l’aventure sur mes lèvres.
La veille déjà, j’avais ressenti une joie profonde et une vive émotion lors de notre passage de la passerelle pour rejoindre le port des Minimes depuis le bassin des chalutiers. Mon cœur gonflé à bloc répondait à l’appel du large. Et en guise de bon présage, face à nous qui sortions, entrait Joshua en croisant notre route. Joshua, c’est le bateau sur lequel Bernard Moitessier, l’un des pionniers des tours du monde à la voile, a fait le sien en solitaire sans escale en 1968. Quel meilleur signe aurait pu m’envoyer l’univers qu’un bateau de cette aura croisant ma route au moment où je prends moi-même le large pour faire un tour du monde ?
IMG-20181104-WA0004
Le coucher de soleil baigne de ses derniers rayons le Ti-punch du départ que l’on savoure sur le pont. Bientôt, c’est une lune pleine et rousse qui se lève et fascine mes yeux émerveillés, lune de miel où le mal de mer est encore absent. Ses reflets argentés inondent les vagues douces qui me bercent lorsque je prends mon 1er quart de minuit à 2h. Je dois surveiller la présence de bateaux sur notre route ou tout autre incident susceptible de modifier notre progression et auquel cas, réveiller François. Je le réveille lorsqu’un bateau apparaît d’abord sur l’AIS (système de repérage radio des bateaux dans un rayon à portée de VHF) puis à l’horizon. “Il est loin, ce ne sera plus ton quart quand on le croisera. C’est rien.” Réveil inutile donc, mais “mieux vaut 10 réveils inutiles que de rentrer dans un bateau”, me rassure François.
Mon quart suivant est de 8 à 11h. En attendant, je dors et je mange. En mer et sur terre, le temps s’écoule de façon complètement différente. L’alternance des quarts, de jour, de nuit, le décalage horaire des fuseaux que l’on traverse modifient tous les repères. L’heure du bateau, celle des quarts, des repas etc., au départ calée sur l’heure française, se retrouve complètement décalée avec le soleil plus nous allons vers l’ouest. Car notre cap est pour le moment orienté plein ouest, pour dépasser le cap Finistère espagnol afin d’être portés par les vents du nord vers le sud. Si l’on descend trop tôt vers le sud, nous risquons d’être coincés par l’Espagne dans notre progression vers le Maroc et les Canaries.
Les premières heures sur le bateau sont donc principalement consacrées à faire mes quarts et dormir pour récupérer de la fatigue accumulée avec les derniers préparatifs et une infection m’ayant affaiblie pendant les derniers 15 jours. Pour lutter contre les 4F favorisant le mal de mer que sont la fatigue, la faim, le froid et la frousse, je me remplie l’estomac dès que je suis debout.
Mais le vent commence à monter et de me sentir brassée, je me retrouve à ne carrément plus pouvoir descendre dans la cale sans avoir la nausée. Il devient alors difficile de m’alimenter autrement que de produits “tout prêts” tels que biscuits, compotes, chips etc. qui finissent vite par m’écœurer après quelques jours. J’ai la chance d’avoir un équipage au top dont Jean-Louis qui va devenir un peu comme un papa de substitution et prendre soin de moi. Paul et lui préparent la plupart des repas et je les bénis de me dispenser de passer trop de temps dans la cale. Je les aide comme je peux en épluchant oignons, carottes et pommes de terre dans le cockpit, à l’air libre.
Chaque jour, apparaît un nouveau problème technique ou mécanique à régler tel que la panne de la sonde de la pompe à eau la veille du départ, le désalinisateur qui ne fonctionne plus quelques jours plus tard, puis une fuite de gasoil qui envahit le cockpit, le générateur permettant de recharger les batteries qui alimentent entre autres le pilote automatique qui ne démarre plus….mais les compétences en mécanique de François et Jean-Louis permettent de tout réparer efficacement. Il me revient alors une phrase de Romain, un marin rochellais qui prépare un long voyage à la voile zéro déchet et zéro électronique :” Dans le milieu de la voile, soit tu es mécano et tu es capable de tout réparer sur ton bateau, soit tu es riche et tu emplois des ouvriers. Mais en mer, mieux vaut être mécano, l’argent ne te sert à rien et tu es seul au monde si tu as un problème. Les marins sont les cosmonautes de l’océan.”
Du fond de ma couchette, j’entends l’eau bouillonner en glissant contre la coque, à quelques centimètres de mes oreilles, et je me sens comme dans un vaisseau dont je ne pourrais sortir. J’imagine alors le museau du bateau fendre les flots tels ceux des navettes spatiales fendent l’espace dans les films de SF. Nous sommes seuls, embarqués tous les quatre dans cette aventure océanique.
La vie à bord suit son cours entre grains, coups de vent et accalmies. Je suis tellement mal que mon hygiène passe à la trappe. Malgré le grand confort sur le bateau qui nous fournit de l’eau douce et chaude grâce au désalinisateur et au chauffe-eau, je ne prendrai que 3 douches en 10 jours. Lorsque je descends dans la cale, j’essaie de rejoindre ma couchette au plus vite pour être en position allongée et court-circuiter le mal de mer. Une fois mon objectif atteint, c’est tout juste si j’enlève mes chaussettes pour dormir, toujours en position allongée et je réfléchis à deux fois avant d’aller aux toilettes, la douche me semblant au-dessus de mes forces…Moi qui me trouvais crasseuse lors de mes bivouacs en camping sauvage à vélo, je me retrouve encore plus sale au milieu de l’océan.
Mes genoux sont pleins de bleus à force de me cogner aux banquettes lorsque je traverse le bateau. Le profilé de Bielle et les conditions de vent et de houle difficiles font giter énormément le bateau. Bielle roule beaucoup, dans le sens roulis, et par mer agitée, le bateau ira jusqu’à se coucher plusieurs fois avant de retrouver sa position initiale. Ca faisait des années que François n’avait pas connu de telles conditions. La sonde de l’huile moteur est carrément sortie de son orifice, ce qui signifie que le bateau s’est couché au-delà des 90 degrés, probablement 110 degrés. Le fait d’être tribord amure (vent fort venant de tribord) m’empêche de bien dormir dans ma cabine située elle aussi à tribord. Je tombe de ma couchette, et les fuites provenant de mon hublot me font migrer vers le lounge, couchette ouverte sur le carré où est suspendu mon vélo. Calée contre lui, je retrouve un peu de confort et de repos.
La mer nous malmène, Bielle, l’équipage et moi. Malgré tout, j’arrive à tenir les quarts. François et Jean-Louis ne semblent pas souffrir du mal de mer et Paul, après les premières heures un peu difficiles, paraît bien amariné lui aussi. Le 5ème jour, le vent se calme et je vais beaucoup mieux. Je passe la presque totalité de la journée dans la cale, à cuisiner et passer le temps. Je commence même à écrire. Et puis le vent se lève de nouveau et c’est reparti pour les nausées. Je me demande alors comment les femmes enceintes supportent d’être malades pendant plusieurs mois…
Parfois, pour calmer cette nausée lancinante et qui ne cesse jamais vraiment, je laisse aller mon esprit sur les vagues et l’écume qui les coiffe d’une crête mousseuse. La mer moutonne et ça ne rigole pas.
Au plus fort de la tempête, ce sont de véritables murs d’eau qui s’abattent sur nous et j’encourage intérieurement Bielle, ma belle, à tenir le coup. Les creux sont à la fois effrayants et fascinants. Peu de vagues sont déferlantes car la coque est haute, mais je me demande toujours si la vague immense qui approche va passer au-dessus ou en-dessous du bateau. Jean-Louis sait voir le positif dans toute situation “Profite, c’est rare de voir une mer pareille et si belle !” me dit-il. François est plus pragmatique :”Des fois on ne voit rien la nuit, et ça vaut mieux.”
La musique aide énormément à calmer mes nausées intempestives, le classique et le métal dans mes oreilles étant les deux genres musicaux les plus efficaces. Ceux qui me connaissent bien ne seront pas surpris. Après une semaine de navigation, l’angoisse de ne pas voir disparaître mes nausées prend le dessus sur ma raison et je me retrouve à lutter contre moi-même, dans un cercle vicieux où la peur d’être malade et de vomir entraîne elle-même des nausées puissantes. Je dois alors me faire violence pour arriver à reprendre le dessus sur mon mental qui visiblement, commence à flancher après tant de jours de lutte contre ce poison qu’est le mal de mer.
L’air et l’eau se fondent en un bouillon tumultueux, mettant à mal quiconque ose affronter l’océan par ces conditions. Les vents montent jusqu’à 45 noeuds par moments et la houle avoisine les 5m, maltraitant Bielle et son équipage, rendant la cuisine impossible. Tout déplacement relève du défis acrobatique pour lutter contre le roulis extrême, défiant la gravité, et chaque mouvement devient pour moi une torture. Les vents sont de force 9, ce qui veut dire que s’ils montent encore et dépassent les 47 noeuds, nous passons en force 10 tempête. Nous n’avons qu’1/3 du Foc comme voilure et pourtant nous filons parfois à plus de 10 noeuds.
Je n’en peux plus. L’espoir initial d’aller mieux et que la houle se calme a disparu et la patience et le pétillant dont j’étais capable aussi, me laissant comme une coquille vide en lutte, ombre de moi-même. Tout m’écœure, particulièrement les odeurs de gasoil du générateur qui tourne 2 fois par jour pour recharger les batteries, et celles des cigarettes de mes équipiers, laissant un résidu de nausée permanent. Je vais débarquer à la Palma et prendre un avion, me dis-je, je n’ai pas le choix. Mon corps a trop enduré et mon moral souffre de ce constat. J’aimerais continuer jusqu’à Marie Galante sur Bielle, l’équipage est top, le bateau sûr, mais en suis-je seulement capable ?
Avant de partir, je n’avais jamais envisagé le bateau comme une prison, préférant à cette image, celle de la liberté absolue et de la beauté sauvage de l’océan. C’est une véritable frustration de ne pas être en mesure d’apprécier les instants magiques en mer, alors que mes yeux et mes sens sont capables d’être émerveillés par un ciel étoilé d’une pureté totale, un clair de lune dont les reflets argentés miroitent sur les vagues, le plancton phosphorescents illuminant les flots, toutes les nuances de bleu, blanc, gris et noir qui se fondent en un tableau tumultueux et le vent qui gonfle les flots d’une puissance sublime…
Le vent retombe enfin, lentement mais sûrement, prenant de l’avance sur la houle qui est toujours plus longue à s’apaiser. Quitter le mode de survie que j’ai adopté est enfin envisageable. Je retrouve un peu de vigueur malgré mon deuxième vomi à 3 jours de l’arrivée. Paul aura eu beau passer des heures à cuisiner, sa pizza finira en pâture aux poissons. J’ai pris l’habitude pendant cette traversée de ne plus me séparer du seau, devenu mon fidèle acolyte. Je ne m’en servirai que deux fois, ce qui relève plutôt du miracle, mais sa seule présence à mes côtés me rassure et m’est nécessaire, au cas où.
Le dernier soir, je sors mon violon et Paul sa guitare. S’improvise alors un bœuf auquel vient aussi se greffer François et sa guitare. Ça remue un peu mais c’est jouable, et c’est vraiment chouette. Mon quart de nuit est baigné par les lumières de Tenerife que l’on aperçoit au loin…terre à l’horizon ! Soulagement. Enfin !
Nous arrivons à Santa Cruz de la Palma le lendemain vers midi, sous un crachin et une moiteur presque tropicale. Devant nous se dresse le relief abrupt de cette île qui semble pleine de mystères. Epuisés par une traversée rude et difficile, il faut d’abord nettoyer le bateau et récupérer avant de partir l’explorer.

La Palma, la Isla bonita

C’est dans une petite Marina que nous acostons. Autour de nous, d’autres bateaux participants au rallye sont déjà présents. Je pose le pied à terre avec délice et nous sommes accueillis par quelques membres de l’organisation du Rallye, Philippe et Robert qui vont faire la traversée avec nous jusqu’à Marie Galante. Philippe est le père de François et l’air de famille est flagrant, notamment la grande barbe qui leur mange le visage à tous les deux.
Je change de couchette et migre à l’avant. Quel bonheur de dormir à plat et sans secousse maintenant que nous sommes à quai ! Les îles Canaries, réputées paradisiaques et ensoleillées ne nous gratifient pas d’une belle météo. Le ciel gris et la fine pluie qui nous arrose sont quotidiens lors de cette semaine d’escale.
Jean-Louis loue une voiture et nous partons tous les trois avec Paul faire de la randonnée à la Caldera de la Taburiente. Par chance, le soleil refait surface et c’est un magnifique panorama qui s’offre à nous depuis le Mirador de Muchachos. Nous descendons alors dans le cirque, croisant baranco sur baranco asséchés (ravines). Seuls les pins canariens endémiques, à l’écorce si épaisse qu’elle leur permet de résister au feu, me rappelle que je suis aux Canaries et non pas dans le cirque de Mafate sur l’île de la Réunion. Quel plaisir d’évoluer dans ce milieu forestier, de fouler le sol de mes pieds et de me ressourcer dans la nature verte. La mer et les vagues sont fardées de différents tons de couleurs magnifiques. Mais je retrouve avec délectation la forêt et les cimes des remparts de ce cirque, me rappelant ô combien je porte la Réunion dans mon cœur. Les similitudes entre ces 2 îles sont frappantes de part leur escarpement, leur milieu volcanique et la présence de forêts primaires mais la végétation à la Palma est différente. Ici, on peut trouver des espèces tropicales sur le littoral et des cerisiers et pommiers tempérés dans les hauts par exemple, témoins d’un mélange subtil entre climats tropicaux et tempérés. Je retrouve même une sorte d’araignée colorée sur sa toile, telle la bib réunionnaise, mais bien plus petite.
Le lendemain, nous partons visiter la rhumerie de l’île et je découvre des routes, que dis-je ! des chemins de bétons filant vers la mer à travers les bananeraies à des pourcentages de côte effrayants. Le frein à main ne tient pas et je me bénis d’avoir accepté d’y aller en voiture plutôt qu’à vélo. Avant de retrouver Dominique et sa fille Anne-Céline qui sont arrivés par avion à la Palma, nous allons faire un tour à Los Tilos dans une forêt primaire avec mes deux acolytes Paul et Jean-Louis.
Le soir, l’équipe du Rallye a organisé une visite à Fuencaliente au sud de l’île dans un observatoire d’étoiles sur un volcan. L’île est très réputée pour son ciel pur et l’observation astronomique y est particulièrement appréciée. Après avoir marché sur un cratère, un guide nous explique quelles constellations nous sommes susceptibles d’apercevoir pendant notre traversée, Cassiopée, Andromède, les Pléiades et traditionnelles Petites et Grandes Ourses entre autres.
Le jeudi, avant-veille de notre départ, il y a beaucoup de choses à faire sur le bateau. Anne-Céline, Jean-Louis, Paul et moi nous chargeons de l’avitaillement en ville pendant que les autres bricolent au bateau. On tourne un peu pour trouver une place de parking puis nous allons faire les courses dans un magasin bio car Anne-Céline ne mange pas de gluten ni de lactose. Au vu des courses, je sens que l’on va manger sainement sur le bateau et c’est tant mieux ! On repart, chargés lourdement et…où est la voiture ?!!!! Embarquée par la fourrière.
Nous repartons donc en direction du commissariat et de la marina à pied, “comme si nous avions du temps à perdre avec tous les préparatifs qu’il reste encore à faire !” Les gars vont au commissariat mais personne ne sait où est la voiture. On appelle un numéro dont l’interlocuteur nous dit d’en appeler un autre qui nous dit d’en appeler un autre…ça tourne au gag du style Les 12 travaux d’Astérix ou l’Auberge Espagnole avec l’administration.
Finalement, la situation se débloque. Le policier qui a embarqué notre voiture de location connait le loueur. lorsqu’il a embarqué la voiture, il l’a appelé et ce dernier lui a dit de tourner avec jusqu’à ce qu’il trouve une place pour l’y garer, ses clients iraient la chercher là-bas. Du coup, Paul et Jean-Louis se sont fait amener en voiture par le-dit policier pour aller la récupérer, pas d’amende à 250€ ni de fourrière. Incroyable hein ? Pourvu que ma bonne étoile continue de veiller sur nous !
Le soir, un apéro de départ est organisé en ville (différent de l’Apéro du soir, tous les soirs au bar de la Marina à 19h, Ti-punch Bielle au menu). Les organisateurs du Rallye m’ayant demandé si je pouvais jouer quelques morceaux de violon, je me retrouve alors face à une trentaine de personnes toute ouïe. Silence. Et trac.
Ça faisait longtemps que ça ne m’était pas arrivé mais il va falloir que je m’habitue à jouer en public. Je ne suis pas très à l’aise encore mais si je veux être en mesure de partager, remercier etc. avec mon violon, il faut que je prenne de l’assurance. Jouer cachée dans un orchestre ou en duo avec un autre instrument est très différent de jouer seule face à un public attentif. Ce ne fut pas fameux mais les gens avaient l’air contents et ainsi, j’ai une large marge de manoeuvre pour m’améliorer, me dis-je. On se rassure comme on peut…
Le vendredi, les préparatifs se poursuivent jusqu’au soir où une autre soirée de départ est prévue à la Marina. J’y fais entre autre la connaissance de Loris, un ancien danseur suisse reconverti en masseur thérapeutique qui fait la traversée avec son père, et Ludo, un breton (encore des bretons ?!!) qui la fait avec une bande de copains voileux de Saint Malo sur un trimaran, seul équipage de mon âge participant au rallye. Soirée très sympa mais bien arrosée. Grosse erreur de ma part à la veille du départ.

La Palma – Mindelo, Cap Vert (10 -16 novembre 2018)

Samedi matin, c’est l’heure de partir. On est prêts. Les adieux auprès de Jean-Louis sont difficiles, mon coeur se serre de le laisser derrière mais il a d’autres projets. J’espère que nos routes se re croiseront, c’est une personne formidable qui a fait beaucoup pour moi. La vie de voyage est parsemée de belles rencontres et les séparations sont parfois dures pour mon petit coeur sensible.
Je participe aux manoeuvres pour le départ, on est lancés. Je n’ai pas pris de médicament avant de partir. Grosse erreur numéro 2.
Nous avons à bord un coq de qualité, Anne-Céline, qui nous cuisine des graines germées et des plats sains, quel bonheur ! Elle n’est pas sensible au mal de mer, contrairement à moi qui commence à vomir à peine 1h après le départ, malgré la bonne bouffe. C’est reparti pour un tour…
Cette traversée entre La Palma et Mindelo au Cap Vert durera 6 jours. Le premier sera très dur car composé quasi exclusivement de siestes et vomissements, tout ce que j’ingurgite ressortant tôt ou tard (et plutôt tôt). La première nuit, je me résous alors à mettre un quart de patch de Scopolamine, une molécule utilisée normalement chez des patients en soins palliatifs qui assèche les muqueuses pour améliorer leur confort de vie. J’ai les pupilles en myosis et la bouche sèche mais c’est efficace, pendant 2 jours. Et puis mon mental recommence à déconner. Les jours s’enchainent et ce résidu de nausée que j’avais lors de la première étape entre la Rochelle et La Palma récidive. Malgré tout, l’ambiance à bord est bonne et j’apprends à connaitre mes nouveaux co-équipiers qui vont devenir ma nouvelle famille.
Anne-Céline avec qui je partage la cabine “des filles”, est comme une grande soeur. Philippe et Robert sont des phénomènes, enchainant les blagues et participant activement à la bonne ambiance à bord. Dominique quant à lui, est très attentionné et me demande toujours comment je me sens lorsque l’on se croise, ce qui n’arrive pas si souvent finalement, car je dors beaucoup. J’apprécie les moments passés ensemble mais aussi mes quarts de nuit seule. Malgré la houle, les conditions météo sont tout de même bien plus favorables que la première partie du voyage. Les nuits nous offrent souvent un panorama d’étoiles à couper le souffle et la magie du plancton phosphorescent, illumination fluo des vagues, dont je ne me lasse pas.
A deux jours de l’arrivée lors d’une “rechute” de mal de mer, j’en viens néanmoins à me dire que je vais prendre un avion depuis le Cap Vert. Mais pour aller où ? A Marie-Galante où je serai coincée de nouveau pour pédaler mais où l’équipage arrivera et avec qui j’ai encore envie de passer du temps ? Au Brésil ? en Argentine ? Malgré le soutien de tout l’équipage, mon cerveau psycho-somatise mon mal de mer et m’empêche de profiter pleinement de cette traversée en si bonne compagnie. Quand j’aperçois la terre le vendredi matin, je me sens de suite mieux. J’arrive même à jouer du violon en fixant la mer, Robert blague en disant qu’il va accrocher des images de terre partout dans le bateau pour que je ne sois plus malade lors de la prochaine étape.
Nous arrivons à Mindelo le vendredi soir, 16 novembre, pour une escale de 5 jours pleins, le départ pour Marie-Galante étant prévu le 22 novembre. Je fête donc mes 28 ans au Cap Vert, quel exotisme !
L’aridité apparente du Cap Vert m’intrigue, j’ai hâte d’aller explorer cette nouvelle île. Mais il va falloir que je me repose, mon corps a encore souffert de cette traversée.
A peine arrivés, c’est l’heure de l’Apéro où je retrouve tous les autres participants du Rallye puisque nous sommes les derniers arrivés.
Au fil des discussions, je me laisse convaincre de tenter de “conditionner” mon cerveau contre la somatisation du mal de mer et de poursuivre l’aventure jusqu’à Marie-Galante. “On est tous un peu malade à un moment donné, et pourtant on y retourne. Parce qu’on aime la mer !” me lance Vincent, un des participants du Rallye avec qui j’ai sympathisé. Je suis obstinée et à terre, je vais beaucoup mieux même si je ne parviens pas à dormir. Il est facile de prendre un telle décision. La regretterai-je en mer lors de cette étape de 2 à 3 semaines ?

8 commentaires

Bordenave · 27 novembre 2018 à 5 h 38 min

Quelle belle aventure !! À bientôt pour la suite. Je me régale de te lire. Merci à ton papy de m’avoir donner le lien.

    Agnesninie · 9 janvier 2019 à 4 h 16 min

    Merci beaucoup ! 🙂

Sabri · 5 décembre 2018 à 23 h 48 min

Slt Agnès.
Quelle belle aventure que tu nous compte là, la narration est excellente, j’ai l’impression d’être à ta place.
Bien du courage à toi.
Un conseil pour le mal de mer : le gingembre, très efficace contre les nausées dr les maux de ventre.
Profite bien et continue à nous faire vivre tes aventures.
La bise.
Sabri

    Agnesninie · 9 janvier 2019 à 4 h 18 min

    Merci Sabri !
    Malheureusement le gingembre n’a pas été très efficace contre le mal de mer, je lui préfère la menthe poivrée. Mais la traversée s’est quand même bien passée 🙂
    Bisous à toute la famille

Darragh · 6 janvier 2019 à 3 h 25 min

Awesome stuff , I take my hat off to you ,hope to see you before you leave this incorrectly named Island

    Agnesninie · 9 janvier 2019 à 4 h 24 min

    Hey it’s nice to hear from you ! Thank you for this compliment from a professional photographer ^^
    That was really nice to spend the day in your company Saturday.
    We’re going to la route des Mamelles and Malendure in Basse Terre tomorrow with Elise, we might see you there ?

Mathilde · 28 janvier 2019 à 0 h 35 min

Salut Agnès,

Je viens de découvrir ton aventure grâce au groupe FB “partir loin et vivre en mer”. C’est la 1ère fois que je laisse un message sur un blog de voyages à vrai dire. Mais je ne peux pas ne pas le faire après avoir lu tes récits et tes projets de voyage qui font tellement écho à ce que j’ai vécu et ce à quoi je m’apprête à vivre. (J’ai 28 ans comme toi et j’ai passé quelques années aussi à vélo avec ma guitare sur les routes du monde et maintenant je retape un voilier en Bretagne Nord pour y vivre et voyager à bord, ce qui n’est que l’affaire de quelques mois) Je t’écris car j’ai aimé te lire, tu as une écriture fluide, honnête et modeste, ce que j’apprécie chez un conteur de voyages. J’espère que tu sauras rester humble tout au long de ton périple et que tu ne deviendras pas une instagrameuse qui vendra du faux rêve d’aventures avec des photos et des récits retouchées. Anyway, après tout chacun sa manière de se (la) raconter. 😉 Je t’écris car ma hantise que tu as très bien décrit, c’est ce (putain) de mal de mer ! En fait, je n’y connais trop rien à la voile, la 1ère fois que j’ai mis le pied sur un voilier c’est justement le mien, qu’il a fallu convoyer avec mon copain l’hiver dernier par force 7 au près sois température négative de Bretagne sud (Lorient) a Bretagne nord (Paimpol). Je ne savais pas que c’était possible d’autant vomir en fait. Je ne savais pas que j’avais le mal de mer. Mais tout comme toi je crois, j’essaye d’être valeureuse et d’aller au delà de l’inconfort pour vivre la beauté de l’aventure. Pour info, j’ai eu très mal aux fesses et gravement tout au long de mon voyage à vélo malgré avoir tout essayé… quand tu montes les cols au Tibet et que tu te dis que le col ce n’est rien en comparaison à cette peau qui part en lambeau tout en étant un énorme hématome douloureux, bref. Je prie pour que le mal de mer ne soit pas l’ équivalent de la selle mais version voyage en bateau voire 100 fois pire. Mon copain ne veut plus que je lui fasse part de ce sujet du mal de mer, comme tu le dis si bien, par peur que je ne psychosomatise. Et pour le coup, on a investi dans un voilier, on ne peut pas faire marche arrière (juste) pour ça. Mais ça n’empêche que j’y pense tous les jours moi… et j’ angoisse que le bateau soit une prison et une lutte de survie et non plus un lieu d’évasion et de liberté. On ne se connaît pas du tout, mais après t’avoir lue, je me suis dit si y a bien une personne qui doit comprendre cela, c’est bien toi. Tout aussi novice que moi en voile, pleine de rêves et de bonne volonté, ton récit fait écho à ce que je pressens que je vais vivre. Et pas en version luxe pour le coup. Pas de douche, ni d’eau chaude, ni de désalaninsateur, juste 2 à bord à faire les quarts le relèvement la cambuse etc. Je ne peux pas ne pas assurer à cause du mal de mer et faire la marmotte des mers. Et c’est mon angoisse. Ne pas assurer et que ça devienne un cauchemar pour mon copain et moi. J’ai entendu parler du patch dont tu parles il y a peu par un ami marin pêcheur. A ce que j’ai pu en lire c’est le seul truc vraiment efficace contre le mal de mer. Mais j’ai peur de devoir me médicamenter si lourdement sur des années avec tous les effets secondaires néfastes sur la santé alors qu’aujourd’hui je rechigne à prendre un médicament alopathe quand je suis malade ! J’espère que ce pavé ne va pas te fatiguer, j’aurai aimé pouvoir te rencontrer et discuterde vive voix avec toi de voyages de musique de rêves de liberté et de découvertes.
Maintenant que tu as fait cette traversée et que tu sais ce que c’est, serais- tu prête à repartir sur un océan en voilier ? Quels sont tes conseils pour que le rêve ne se transforme pas en cauchemar incontrôlé à bord de mal- être physique qui prend le dessus sur le plaisir? Je pense que le fait d’en parler ouvertement exorcisera un peu ce spectre.
Quant à toi, si tu as des questions concernant le voyage à vélo, ce serait un plaisir que de te répondre à ce sujet!
En attendant, je continuerai à lire tes jolis récits de voyage. J’espère que tu auras le temps de lire ce petit pavé et de me répondre entre 2 aventures

Kénavo 😉
Mathilde

    Agnesninie · 30 janvier 2019 à 19 h 36 min

    Salut Mathilde !
    Merci pour ton message 🙂
    C’est un super projet que vous avez avec ton copain, vivre et voyager sur un voilier…quelle belle aventure en perspective !
    J’entends bien ton apprehension vis à vis du mal de mer. Es-tu malade à chaque expérience de navigation ? Par force 7, ça ne me surprend pas que tu l’aies été, d’autant plus si tu n’étais pas déjà amarinée ! En général, il faut 3-4 jours pour que le corps s’habitue. De très nombreux marins ont le mal de mer les premières heures/jours en mer, ce n’est pas pour autant qu’ils ne naviguent pas. Comme je l’ai écrit dans mes articles, je suis moi-même malade en dehors de cette période “normale” d’amarinage lorsque la houle augmente, mais j’ai conscience que cela vient plus de mon appréhension que d’une cause physique. Je me suis même demandée si, plutôt que des patchs nocifs et onéreux, il ne suffirait pas que je fasse de l’hypnose. Quoi qu’il en soit, j’ai quand même senti une amélioration tout au long de cette traversée, et je crois finalement que plus tu navigues et moins tu es malade. Ce mal de mer me paraît un lointain souvenir maintenant que je suis à terre, et malgré tous les moments difficiles, si c’était à refaire, je repartirais volontiers ! Je projette d’ailleurs de traverser le Pacifique après avoir pédalé en Amérique du Sud.
    Les seuls conseils que je peux te donner sont d’écouter ton corps et d’apprendre à reconnaître les signes annonciateurs de mal de mer sans rester focalisée dessus (c’est là toute la subtilité) . Si tu as besoin de sommeil, dors. L’alimentation et l’hydratation sont aussi très importantes en mer. Mais essaie de t’occuper l’esprit que ce soit à la barre ou ailleurs, tous les moyens sont bons pour court-circuiter cette appréhension. Il existe aussi un médicament qu’on ne trouve qu’en Espagne mais qui est lui aussi très efficace : Stugeron.
    Et puis si vraiment tu n’es pas bien lors de longues traversées, rien ne vous empêche de prendre un ou des équipiers pour vous aider. Faire une transat à 2, c’est très fatigant…
    Quoi qu’il en soit, je vous encourage tous les deux à réaliser vos rêves malgré les difficultés et les peurs que vous pouvez être amenés à rencontrer. Et comme m’a dit Olivier Peyre avant de partir, n’abandonne pas !
    Bonne préparation et peut-être à bientôt, sur les routes terrestres ou Maritimes de notre belle planète 🙂

Répondre à Bordenave Annuler la réponse

Emplacement de l’avatar

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Translate »